Herman Melville

Elizabeth Hardwick
Éditions Fides
204 pages

Résumé:

Boudé par le public à sa parution, Moby Dick fait désormais partie des incontournables grands classiques. Un siècle après sa mort, le regain d'intérêt pour Herman Melville a inspiré Elizabeth Hardwick qui livre ici une riche analyse de " l'ensemble de l'œuvre de Melville et du défi qu'est sa vie, [...] l'histoire de la vie créatrice de cet extraordinaire génie américain. " Melville était un véritable personnage de roman, au moins aussi fascinant que les héros de ses livres. Qui mieux que la grande romancière et essayiste Elizabeth Hardwick pouvait tracer le portrait d'un être si exceptionnel. Elle fait revivre l'ancien marin des navires baleiniers dont les voyages eurent ce caractère romantique propre à séduire le public. Dans une interprétation critique brillante, elle montre comment Melville, l'aventurier des mers, transposait dans ses écrits ce goût de la découverte en se faisant l'explorateur de " la vérité du cœur humain ". Ouvrage inestimable pour les passionnés de littérature américaine, voici une œuvre critique majeure qui dévoile une page captivante de l'histoire de cette littérature.

Mon commentaire:

Je connais, un peu comme tout le monde, Herman Melville, l'auteur de Moby Dick. Mais je ne l'ai jamais lu. J'espère combler cette lacune en 2013 en m'attardant sur quelques unes de ses œuvres, qui attendent patiemment dans ma bibliothèque. En attendant, j'ai eu envie de me pencher sur sa vie et m'offrir un tour d'horizon de son œuvre. L'ouvrage biographique de Elizabeth Hardwick est un bon livre pour aborder l'homme que fut Herman Melville et surtout, tenter de le comprendre à travers une analyse intéressante de son travail d'écriture.

Herman Melville est né en 1819, à New York. Marié, père de quatre enfants (dont trois ont connus de tragiques destins), il meurt en 1891 à l'âge de 72 ans. Son œuvre est exhumée et redécouverte dans les années 1920. Les spécialistes se penchent alors sur ses écrits, qui laissent place à toutes sortes de conjectures sur sa vie personnelle. Les romans de Melville étant complexes, leur analyse laisse beaucoup de parts d'ombre. Qui était Melville?

J'ai particulièrement apprécié l'ouvrage d"Elizabeth Hardwick. Elle ne se contente pas d'offrir qu'une série de dates et de lieux, elle puise dans l'œuvre de Melville pour en extraire différentes idées sur le personnage qu'était cet écrivain plutôt mystérieux, à la vie assez triste me semble-t-il. Même s'il provenait d'une famille illustre et qu'il a fait un bon mariage de ce côté, la vie de Melville me semble souvent freinée dans ses élans, soit par un destin qui s'acharne sur lui, soit par les conventions qui l'empêchent véritablement de s'épanouir. Il me semble qu'une vie vagabonde, comme il l'a vécue dans ses jeunes années alors qu'il s'embarque sur différents bateaux, lui aurait mieux convenue.

Il écrit dix romans en onze ans, livres qui sont descendus par la critique; se met à la poésie qu'on boude littéralement; manque souvent d'argent (par chance il a un oncle au portefeuille généreux); fait une tournée de conférences pour faire un peu d'argent ce qui s'avère être aussi un échec; travaille aux douanes pour joindre les deux bouts, mais ne réussis dans aucun emploi alimentaire. Il n'est ni motivé, ni excellent. Ce qu'il aime, c'est l'écriture. Il a une mémoire phénoménale et peut coucher sur papier, des dizaines d'années plus tard avec une précision étonnante, certaines des aventures vécues dans sa jeunesse. Décrié par ses contemporains, victime de critiques parfois virulentes qui le peine beaucoup, il deviendra pourtant un auteur classique de la littérature américaine.
Melville a connu des épisodes difficiles de dépression, d'immense chagrin, de périodes où il s'enlisait dans la violence et un comportement destructeur. Si bien que la famille de sa femme lui conseille de divorcer de son mari. Je vous rappelle que nous sommes au XIXe siècle, solution plutôt extrême pour l'époque.  Pourtant, elle ne le quittera pas. Et Melville s'accommodera de sa vie de petit fonctionnaire, alors qu'il n'y trouve aucun plaisir. Il se plonge dans son imaginaire, dans ses souvenirs et écrira, entre autres, Clarel, un imposant poème de près de 20 000 vers, qui  connu un échec retentissant.

Nathaniel Hawthorne, l'auteur de La lettre écarlate, devint un grand ami de Melville. Moby Dick lui est d'ailleurs dédié:

« En gage de mon admiration pour son génie, ce livre est dédicacé à Nathaniel Hawthorne »

Hawthorne en recommande la publication à l'éditeur et en fait l'éloge. Melville a connu avec Hawthorne, une amitié unique et très forte. Elle le fut en tout cas pour Melville, qui déclara même:

"Un indescriptible sentiment de sécurité m'habite à présent parce que vous avez compris mon livre. J'ai écrit un livre méchant et me sens aussi pur que l'agneau... D'où venez-vous, Hawthorne? Quel droit avez-vous de boire à la bouteille de ma vie? Quand je la porte à mes lèvres, elles sont vôtres et non miennes. Je sens que le Divin a été rompu comme le pain de la Cène dont nous sommes les morceaux. D'où ce sentiment d'infinie fraternité." p.86

Une ferveur fraternelle qui semble avoir été beaucoup plus forte du côté de Melville que de celui d'Hawthorne. Hawthorne avait sa femme, quil aimait tendrement, avec qui partager sa vie intérieure. Melville n'avait personne. Ces passages m'ont beaucoup interpelée et très intéressée. Je les trouve très touchants. J'aimerais mettre la main sur la correspondance des deux hommes qui a été publiée il y a quelques années.

Elizabeth Hardwick a une plume intéressante, quelque peu poétique. J'ai beaucoup apprécié ma lecture de cette biographie. Chacun des chapitres s'attarde sur une œuvre de Melville ou sur un moment clé de son existence. Dans une courte postface en fin de volume, l'auteur explique sa façon d'aborder Melville: redécouvrir l'homme principalement à travers ses écrits. Chaque roman est analysé et assorti de plusieurs extraits. Du côté biographique, l'auteur s'attarde beaucoup sur la relation presque obsessionnelle de Melville pour son grand ami Nathaniel Hawthorne et de l'aspect du "désir homosexuel" présent dans les romans de Melville. Un aspect qu'elle a mît en lumière car elle le trouvait intéressant. Et ça l'est, surtout dans sa façon de l'aborder. Ce n'est pas traité de façon voyeuse, mais plutôt remise dans son contexte historique étouffé par les conventions. L'analyse de son œuvre peut peut-être laisser transparaître la véritable nature de Melville, seul échappatoire à une vie qui ne semblait pas lui convenir.

J'ai aussi été très intéressée par sa façon d'aborder la vie et l'œuvre de Melville, entre biographie et analyse littéraire, les deux évoluant toujours de façon parallèle. Elle fait également une allusion à la vie maritale de Melville en la comparant avec celle de Léon Tolstoï, un parallèle qui n'a pu que m'intéresser.

Un livre que je recommande donc, que j'ai grandement apprécié et qui me donne encore plus envie de me mettre sérieusement à la lecture des œuvres d'Herman Melville. Plusieurs sont méconnues aujourd'hui, comme Le grand escroc et Billy Budd, de même que Redburn, son roman probablement le plus personnel, que Melville renia par la suite. Peut-être parce qu'il avait le sentiment de s'être un peu trop dévoilé?

Herman Melville, un grand écrivain à (re)découvrir, assurément.

Quelques extraits:

"Ce nom - Herman Melville - évoque la poésie de la mer, de l'immensité des eaux mystérieuses qu'aucun adjectif ne suffit à décrire." p.7

"Melville est le plus studieux des écrivains, un infatigable étudiant de minuit. Il a tout lu et utilise tout: Shakespeare, la Bible, Sir Thomas Browne, Les Lusiades de Camoëns, l'histoire des États-Unis, celle de la marine, les sciences naturelles, la zoologie." p.12