Déserteurs et insoumis

Ils étaient déserteurs dans un Québec soumis à la conscription...

Il suffit parfois d'une toute petite étincelle pour nous donner envie de creuser le passé et de se plonger dans notre histoire...

Il y a quelques semaines, j'ai appris par hasard, qu'un de mes ancêtres, un membre de notre famille que je n'ai pas connu, a subit la conscription et a déserté. Il a passé de longs mois, voire plus (ça reste nébuleux) dans la forêt. Qu'a-t-il fait? Comment a-t-il survécu? Je peux comprendre qu'on déserte. Qui a envie d'aller mourir au front, dans une guerre que l'on ne comprend pas, qui nous semble abstraite? Qui a envie d'abandonner sa famille, ses amis, même pour une cause, aussi grande soit-elle? Souvent, ces jeunes gens qu'on envoyait se battre étaient les seuls soutients de famille. Ils revenaient marqués, quand ils revenaient...

Je pense très souvent à lui, cet ancêtre, surtout depuis quelques temps. Il est décédé il y a déjà de nombreuses années, d'un cancer, bien avant que j'ai la chance de le connaître. Il a amené son secret dans sa tombe, avec lui. Il n'en a jamais parlé. Il en avait peut-être honte, comme c'est souvent le cas. La désertion est vu comme un geste de lâcheté. Il ne reste pas grand chose de son passé de déserteur. J'essaie de l'imaginer. De jour. De nuit. Seul. Avec d'autres déserteurs, peut-être? Comment se nourrissait-il? Comment réussissait-il à vaincre le froid? Qui savait où il était? Quelqu'un l'a-t-il aidé? Après la guerre, il a pu sortir de la forêt. Il a fondé une famille. Eu des descendants. S'il n'avait pas déserté, serait-il encore là aujourd'hui? Et nous, serions-nous là? Il aurait pu ne pas s'en sortir vivant...

Cette histoire me trotte dans la tête souvent depuis. J'ai eu envie de creuser le sujet. Tout d'abord, avec un livre, un essai militaire, qui nous parle des déserteurs et des insoumis. Ensuite, par la fiction, soit un film qui arrivait sur nos écrans au bon moment: Le déserteur.

Tout d'abord, le livre.

deserteursetinsoumis.jpgDéserteurs et insoumis de Patrick Bouvier

Éditions Athéna, 149 pages

Cet essai est extrait d'un mémoire de maîtrise intitulé Première Guerre mondiale, justice militaire et désertion des Canadiens français. Il existe très peu de livres sur le sujet de la désertion au Canada, principalement en ce qui concerne les francophones. L'auteur du livre a eu du mal à trouver de l'information. Beaucoup de dossiers de militaires sont incomplets ou alors, inexistants.

Le "personnage" du déserteur est encore pourtant bien présent dans l'imaginaire collectif québécois. C'est un héros, puisqu'il défie les lois militaires; mais c'est aussi un lâche, puisqu'il déserte et ne veut ou ne peut faire face à la guerre. Je pense qu'entre les deux, extrêmes, il y a beaucoup à connaître.

Les Canadiens français n'étaient pas à proprement parler contre la guerre. On comprenait que chacun devait faire sa part. Plusieurs jeunes se sont enrôlés, avides d'aventure ou pour changer un peu de vie. Ce sont en fait surtout des événements internes, sans lien apparant avec la guerre, qui ont braqués les francophones contre la guerre.

"Les Canadiens français n'ont jamais partagé l'enthousiasme de leurs compatriotes anglophones pour la guerre; ils n'éprouvent aucune affection particulière pour la Grande-Bretagne et leur lien avec la France séculière est bien ténu."
extrait d'Une histoire générale du Canada, éditions du Boréal, 1990, Craig Brown

Dans la tête des Canadiens français, cette guerre est la guerre des autres et non pas la leur. Aller se faire tuer au front pour les autres, ne les tente pas beaucoup... Je crois aussi que, de par notre situation démographique et par notre culture, nous sommes en général moins prompt à faire la guerre. Ce qui est assez démonstratif de ce fait culturel est l'arrivée au cinéma, presque en même temps, de deux films sur la guerre. L'un est québécois et parle de la désertion (Le déserteur de Simon Lavoie) alors que l'autre est Canadien et fait état de l'honneur et de la gloire qu'on peut retrouver à la guerre (La bataille de Passchendaele de Paul Gross).

C'est à partir du peu d'enthousiasme des Canadiens de faire la guerre, qu'a été créée la loi concernant le service militaire. Les hommes sont appelés à se présenter aux autorités militaires, ce qu'on appelle la conscription. Partout au pays, cette nouvelle est assez mal accueillie. Des manifestations violentes sont organisées. Un bureau d'exemption est mis en place, mais il croule sous les demandes. Les hommes ne veulent pas aller à la guerre. Environ 93% d'entre eux font une demande d'exemption. Suite à cette insoumission de la population, une loi sera adoptée, mettant fin aux demandes d'exemption et annulant celles déjà accordées.

Les raisons de désertions sont nombreuses. On ne croit pas à la cause. On ne veut pas se soumettre à ces lois. On ne veut pas faire la guerre, quitter ses parents, sa famille, une amoureuse ou son pays. Certains souffrent aussi de chocs nerveux, qui n'ont pas été traités. Des cours martiales sont instaurées. On juge les déserteurs et les insoumis de façon inadéquate. Les sentences ne sont pas les mêmes pour tous et pour les mêmes fautes, différentes sentences sont appliquées. Les gens qui jugent en cours ne sont pas toujours compétents pour le faire. Certains hommes seront fusillés, mesure extrême prêchant par l'exemple. Ces épisodes sont de tristes taches dans notre histoire. Mais, malheureusement, quelle guerre ne l'est pas?

L'essai de Patrick Bouvier est très didactique. Il rappelle des faits, des chiffres et des données. Il s'agit toutefois d'une lecture éclairante sur la désertion. Comme l'auteur, je souhaite qu'un jour des historiens creusent le sujet pour nous offrir leur travail, à travers des cas vécus et des faits historiques tirés du peu d'archives disponibles.

Maintenant, passons au film.

deserteurfilm.jpgLe déserteur, réalisé par Simon Lavoie (2008)

Simon Lavoie est un jeune cinéaste de 29 ans, originaire de Charlevoix. C'est aussi un passionné d'histoire. Il est surtout connu pour la réalisation de courts métrages et a remporté en 2006 un Jutra pour Une chapelle blanche. C'est à la lecture d'un livre sur la conscription que lui est venu l'idée de réaliser Le déserteur. On y faisait mention du cas de Georges Guénette. Simon Lavoie a voulu en savoir plus... Le déserteur est son premier long métrage.

Nous nous sommes donc rendus au cinéma deux jours après la sortie du film, pour le voir. J'étais très impatiente et je dois dire que je n'ai pas été déçue du tout! Je tiens tout d'abord à préciser que ce n'est pas un film d'action. Ceux qui s'attendent à aller voir un gros film de guerre, bien sanglant, avec des scènes de batailles et de gloire, un blockbuster à la sauce Hollywoodienne, passez donc votre chemin. Je remercie d'ailleurs Simon Lavoie de ne pas être tombé dans le piège de faire un tel film avec son histoire. Il en aurait enlevé tout ce qui fait la grandeur de ce beau film.

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Car Le déserteur est un film magnifique. Réalisé avec une sensibilité qui m'a tiré des larmes à quelques reprises. Très peu de dialogues. Tout est dans la douceur ou la violence des gestes, des regards, de la lumière. On y est sensible ou on ne l'est pas... J'ai aimé la façon dont le film a été tourné. À plusieurs reprises, nous voyons les gens évoluer tout en bas de l'écran, alors que les paysages les engloutissent presque. On ressent la grandeur du monde, par rapport à la petitesse de l'homme.

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La photographie est absolument sublime, avec une luminosité qui met en relief des paysages magnifiques. On est chez nous. On nous raconte une partie de notre Histoire. Nous sommes au Québec, dans les années 40. La conscription est devenue obligatoire. Georges Guénette (Émile Proulx-Cloutier) vit sur une petite terre, avec ses parents (Raymond Cloutier et Danielle Proulx). Le réalisateur a eu la bonne idée de présenter à l'écran une vraie famille. Ils sont tous les trois très crédibles. Les Guénette sont pauvres. Le père est malade. Il ne s'entend pas toujours avec son fils. La mère tente de contenir ses deux hommes. Les parents sont usés par la vie. Georges est le seul soutient de la famille. Ils n'ont qu'une parcelle de terre et comme ils ne sont pas cultivateurs (et donc, pas essentiels à l'état), Georges est envoyé dans l'armée. Ce monde est trop dur pour lui. Il pense à sa famille... Pendant une sortie dans les bois, où les soldats s'entraînent à marcher en rangs, Georges déserte. Il s'enfuit et se perd dans le feuillage...

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Le film peint le portrait de toute une époque. Par petites touches, on comprends la mentalité des gens de ces années: la présence de la religion, le manque d'information et de ressources des familles, les conflits entre francophones et anglophones, les magouilles politiques, la solidarité des fermiers et de leurs familles, les mariages entre personnes de classes différentes, les hommes qui parlaient si peu d'eux, que toute la violence et les sentiments qu'ils pouvaient ressentir étaient masqués et les rongeaient...

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Certaines scènes sont très émouvantes, d'autres sont terriblement injustes. Il faut savoir que Georges Guénette a réellement existé. Son cas a fait la une de tous les journaux de l'époque. Parce qu'il a déserté, on l'a retrouvé, accusé d'un crime qu'il aurait soit-disant commis, et fusillé... Il n'est pas le seul, quelques autres soldats à l'époque ont été condamnés à la peine capitale. Toutefois, dans le cas de Guénette, il n'a même pas eu le temps de connaître une arrestation et un procès, avant d'être mitraillé comme du bétail...

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Si vous avez envie de plonger dans le passé, d'en apprendre un peu plus sur la façon dont la conscription se vivait au Québec, je vous suggère fortement ce très beau film qu'est Le déserteur. Pour des raisons familiales, qui m'ont données l'illusion de connaître un peu la vie de mon ancêtre, pour mon avidité à connaître l'Histoire, parce que ce film en est un de talent, je n'ai que de bons mots à l'égart de son réalisateur, des comédiens et de tous ceux qui ont travaillés dans l'ombre de la production.

Vous pouvez visionner la bande annonce:

Il y a aussi un très intéressant article sur MonCinéma.ca.

  • Déserteurs et insoumis
    Les Canadiens et la justice militaire (1914-1918)

    Patrick Bouvier, éditions Athéna
  • Le déserteur (2008)
    Film réalisé par Simon Lavoie
    Avec Émile Proulx-Cloutier, Raymond Cloutier, Danielle Proulx, Viviane Audet

Crédits photos: Le déserteur

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Date de dernière mise à jour : 2012-06-24