Le grand orcherstre animal

Bernie Krause
Éditions Flammarion
288 pages

Résumé:

Les bruits du vent, de l'eau, des mouvements du sol, de la pluie exercent une influence troublante sur les sons émis par les animaux mais aussi sur le choeur qu'ils forment dans leur habitat. Tout organisme vivant sensible aux signaux acoustiques a dû s'adapter à cette géophonie, et se doter d'une fréquence permettant à son souffle, à ses claquements, sifflements, rugissements, chants ou autres vocalises de se détacher sur le fond sonore naturel. En témoignent les 4 500 heures d'enregistrements de Bernie Krause, qui ont immortalisé en un demi-siècle les sons de plus de 15 000 animaux, marins ou terrestres. Mais si l'imperceptible son des virus, l'étrange bruissement des anémones ou le couinement des épis de maïs ont la vie dure, près de 50 % des sons enregistrés depuis les années 1960 ont disparu de la surface de la Terre, chassés par la cacophonie des sociétés humaines. Le Grand Orchestre animal est un retour aux origines de cette musique naturelle, épurée, immémoriale, mère de toutes les voix animales, et un puissant manifeste en faveur d'une écologie des sons.

Mon commentaire:

Bernie Krause est définitivement un homme passionné par la musique sous toutes ses formes. C'est un musicien, passionné par les sons en général. Il a beaucoup travaillé sur la musique électronique. C'est aussi un naturaliste convaincu et un enregistreur de paysages sonores.

Son essai sur la biophonie, terme dont il est à l'origine, est un ouvrage passionnant pour quiconque s'intéresse à l'accoustique, qu'elle soit animale, ambiante ou humaine. Ayant comme point de départ ce que l'on appelle "le grand orchestre animal", il nous parle autant des sons de la nature que des moyens de communication entre les différentes espèces animales. Il nous offre également un détour musical en lien avec la biophonie animale en explorant la musique créée par l'homme et ses origines. D'où vient la musique? Comment a-t-elle commencé? Quel rôle joue-t-elle dans le monde, afin de contribuer à la cohérence entre les espèces et leur univers? Ce sont toutes des pistes où s'aventure Bernie Krause en enregistrant lui-même la biophonie ambiante et en tentant de comprendre son fonctionnement.   Cet ouvrage est intéressant par l'originalité de son sujet. Le thème de la biophonie demeure plutôt marginal. D'ailleurs les études se font plus rares autour de ce sujet car les fonds déployés pour l'étudier et tenter de la comprendre sont peu disponibles. Pourtant, connaître les sons qui nous entourent, leur raison d'être, leur complexité et les changements qu'ils ont subit au cours des années, c'est aussi se pencher sur nous, sur la nature et en comprendre les subtilités. L'auteur nous y aide en présentant son travail de façon claire et accessible. De nombreux tableaux et graphiques représentant les mêmes sons dans plusieurs contextes différents (le passage d'un avion par exemple ou des coupes d'arbres qui ont des effets dévastateurs) nous aident à visualiser ce qu'est réellement la biophonie.

Bernie Krause a travaillé pendant des années dans l'univers des sons. D'abord comme musicien, il se tourne ensuite vers la nature, qu'il affectionne particulièrement. Suivra une carrière où la biophonie prend l'essentiel de son temps et où il étudie avec passion toutes les sonorités des différents paysages où il se rend. Il relate les changements survenus dans son métier, qui a été grandement amélioré sur certains points grâce aux technologies, mais qui a aussi souffert sous certains aspects. Ses découvertes nous sont livrées avec humilité et sensibilité.

Si on nous explique beaucoup la façon dont on perçoit le son, du point de vue biologique, l'auteur aborde le son sous différents points de vue. On sent que l'auteur est très sensibilisé aux problèmes écologiques. Son travail y est d'ailleurs pour beaucoup. Il aborde donc aussi la biophonie du point de vue des changements climatiques et également de l'empreinte de l'homme sur son environnement. Si ses constatations sont alarmistes, Krause est aussi un éternel optimiste qui voit le verre à moitié plein, plutôt qu'à moitié vide. Il propose quelques solutions et une nouvelle approche des sons qui nous entourent.   Son travail est vaste et varié, tant du point de vue de l'enregistrement des paysages sonores (dont il nous parle abondamment dans son ouvrage) que de ses réalisations comme musicien. C'est un homme curieux, très proche de la nature, qui s'interroge sans cesse sur ses mystères et son fonctionnement. Son essai est écrit avec une grande curiosité pour son sujet et on sent la passion qui l'habite. J'ai apprécié ses questionnements, sa façon de décortiquer les questions qu'il se pose et son humilité face à ses recherches. Il y aurait tant à dire sur la biophonie et la musique! L'auteur fait d'ailleurs de nombreux comparatifs entre la biophonie et la création d'oeuvres musicales. Certaines compositions d'ailleurs, que l'on pense aux Quatres saisons de Vivaldi ou à La mer de Debussy, s'inspirent de la nature.

À travers son livre, Bernie Krause tente d'apporter un point de vue original sur le son qui nous entoure, qu'il soit créé par l'homme dans un esprit artistique ou par la faune et la flore pour des raisons de survie, de procréation, de hiérarchie animale. De nombreux exemples qui nous sont présentés dans ce livre sont à la fois amusants, touchants, tristes, font réfléchir. Ce sont de belles pistes de réflexion sur la nature et la musique, mais aussi sur la condition humaine et animale. Tous ces sons, toutes ces créations musicales s'intègrent alors parfaitement dans ce que l'on appelle "le grand orchestre animal".

Un index et une bibliographie (essentiellement en anglais) complète l'ouvrage. Plusieurs liens nous sont toutefois donnés afin de pouvoir s'offrir des moments d'écoute de pistes audio. Ces éléments accompagnent bien la lecture.   Un livre passionnant à découvrir, qui nous rappelle à quel point la biophonie est essentielle, importante et partie prenante de l'univers dans lequel on vit. On constate, à la lecture de cet essai, à quel point on néglige bien souvent l'écoute de la vie autour de soi.

Quelques extraits:

"Dorothea Lange, photojournaliste américaine de l'époque de la Grande Dépression disait qu'un appareil photo est un outil pour apprendre à voir sans appareil. Eh bien, un magnétophone est un outil pour apprendre à écouter sans magnétophone." p.24

"Le plaisir d'entendre notre voix faire écho est l'une des raisons pour lesquelles nous chantons sous la douche: la réverbération est une qualité du son apparemment séduisante pour beaucoup d'êtres vivants." p.38

"J'ai enregistré plus de quinze mille sons d'espèces animales et plus de quatre mille cinq cents heures d'ambiance naturelle. Près de 50% des habitats figurant dans mes archives sont désormais si gravement dégradés, si ce n'est biophoniquement silencieux, que beaucoup de ces paysages sonores naturels, naguère si riches, ne peuvent plus être entendus que dans cette collection." p.223

"Le fragile tissu des sons de la nature est déchiré par notre besoin apparemment insatiable de conquérir l'environnement au lieu de trouver le moyen de vivre en harmonie avec lui." p.227