Enterrez vos morts

Louise Penny
Flammarion Québec
458 pages

Résumé:

Tandis que le Vieux-Québec scintille sous la neige et s’égaye des flonflons du carnaval, Armand Gamache tente de se remettre du traumatisme d’une opération policière qui a mal tourné. Mais, pour l’inspecteur-chef de la SQ, impossible d’échapper longtemps à un nouveau crime, surtout lorsqu’il survient dans la vénérable Literary and Historical Society, une institution de la minorité anglophone de Québec. La victime est un archéologue amateur connu pour sa quête obsessive de la sépulture de Champlain. Existerait-il donc, enfoui depuis quatre cents ans, un secret assez terrible pour engendrer un meurtre ? Confronté aux blessures de l’histoire, hanté par ses dernières enquêtes, Gamache doit replonger dans le passé pour pouvoir enfin enterrer ses morts.

Mon commentaire:

J'attend toujours la parution d'un nouveau roman de Louise Penny avec beaucoup de fébrilité. Je l'aime, que voulez-vous! Chaque fois, je me demande si le nouveau sera bon, s'il sera à la hauteur du précédent. Une lectrice de la bibliothèque m'a déjà dit, alors qu'on parlait de Louise Penny, "Son dernier roman est toujours le meilleur." Je dois avouer qu'elle a pas mal raison. Bon, mon préféré d'entre tous demeure Révélation brutale. Il m'avait tant marquée! Et c'est difficile de faire plus fort du point de vue psychologique. Sauf que... Enterrez vos morts est excellent. D'un roman à l'autre, je suis toujours soufflée. Comment réussit-elle à écrire comme elle le fait? Comment réussit-elle à nous donner l'impression que ses personnages existent, qu'on les retrouve d'un livre à l'autre avec un plaisir chaque fois renouvelé? Je me le demande chaque fois et chaque fois, je vibre avec les personnages. Chacun de ses livres me donnent, en plus, l'envie de découvrir autre chose. Révélation brutale m'avait amenée à découvrir une artiste peintre et la musique d'un groupe canadien. Enterrez vos morts me donne une furieuse envie d'aller jouer la touriste à Québec, de visiter le centre culturel Morrin et la Literary and Historical Society of Quebec, et de lire tout ce que je peux trouver sur Samuel de Champlain.

Enterrez vos morts est le premier de ses romans qui est une suite directe au précédent. Il faut donc avoir lu Révélation brutale pour être en mesure d'apprécier vraiment celui-ci. Si vous ne l'avez pas lu encore, les lignes qui suivent donneront quelques informations sur l'histoire. Vous êtes prévenus! Donc, dans Enterrez vos morts on retrouve à nouveau l'histoire d'Olivier qui est maintenant en prison pour dix ans. Gamache s'interroge vu l'insistance de Gabri à lui écrire chaque jour en lui posant la même question: Pourquoi Olivier aurait-il déplacé le corps? Ça n'a aucun sens. L'enquête sera donc réouverte, les suspects de Révélation brutale seront à nouveau interrogés et Beauvoir travaillera à l'enquête. Ce sera pour lui l'occasion de redécouvrir les habitants de Three Pines, qu'il a toujours négligé et perçu comme des suspects plutôt que comme des amis. Il se rapproche étonnament de Ruth et aussi de Clara.

Parallèlement, Gamache est à Québec. Il s'est produit quelque chose entre les deux romans et l'inspecteur-chef est en convalescence, loin des feux de la rampe. Il doit se refaire une santé, tant mentale que physique, après la tragédie qu'il a vécu. Il vit chez son ami Émile, se promène dans Québec, fait des recherches historiques à la Literary and Historical Society of Quebec, pour son plaisir personnel. Gamache a une curiosité intellectuelle et une grande passion pour les livres qui me plaît énormément. C'est un personnage qu'on ne peut qu'aimer. Doux, gentil, il s'intéresse profondément à l'humain et à ses motivations. Ses relations avec les autres me fascine. Alors qu'il aspire à la tranquilité, il est mêlé malgré lui à l'enquête du meurtre d'un homme un peu fou, qui s'était donné pour mission de découvrir où Champlain était enterré. Sa passion pour l'histoire est comblée avec les recherches qu'il doit effectuer, mais c'est aussi pour Gamache un déclencheur à revenir sur ce qu'il a vécu et à sa façon d'y faire face.

En abordant le thème de Champlain dans ce roman, l'auteur aborde aussi la réalité québécoise et la cohabitation anglophones/francophones. Leurs espoirs, leur façon de percevoir "l'autre". Toujours avec lucidité, sans jugement, en étant capable de faire sourire. Elle aborde notre histoire et notre identité comme peuple. Sa façon de voir les choses, d'en parler et de les décrire me plaît particulièrement. C'est fait avec sensibilité et respect. Cette dualité entre les anglophones et les francophones a toujours été bien présente dans ses romans, mais c'est encore plus vrai ici. Gamache est un peu le point central, ni tout à fait l'un, ni tout à fait l'autre. Il est francophone, a fait ses études en Angleterre, s'adresse aux gens qu'il rencontre dans leur langue. Émile est un séparatiste convaincu. Winnie me fait mourir de rire avec sa façon de tenter de s'exprimer en français, alors qu'elle est anglophone. Il y a des extrémistes dans tous les camps et l'auteur en parle, mais d'une façon qui me plaît.

La Literary and Historical Society of Quebec, que je ne connaissais pas, est tellement bien décrite dans le livre, qu'on a envie d'aller y passer la journée. L'histoire d'une si belle bibliothèque, si peu connue des francophones, est presque triste. Magnifiquement décrite, j'ai été voir quelques photos après ma lecture et l'atmosphère, la description des lieux, tout y est. C'est un endroit que je me promet de visiter un jour. Et il y a Québec, qui est si importante dans le livre. Une ville fortifiée, une ville chargée d'histoire, qu'on a l'impression de redécouvrir au fil des pages. L'hiver dans ce roman prend aussi une très grande place. Il fait partie, en quelque sorte, de nous.

Enterrez vos morts est un livre qui m'a particulièrement plu. C'est la première fois qu'on retrouve deux histoires dans le même livre, qui évoluent en parallèle jusqu'à se croiser. Beauvoir à Three Pines et Gamache à Québec. L'un enquête sur Olivier et l'autre, sur un crime dans une magnifique bibliothèque. Les deux, toutefois, trouveront des éléments pour résoudre les deux affaires et devront faire face, également, à ce qui s'est passé dans une usine désaffectée, pendant une mission... Ils ont des blessures à soigner et des morts à enterrer.

La dédicace de ce roman est vraiment jolie:

"Ce livre porte sur les secondes chances et est dédié aux personnes qui les accordent et à celles qui les saisissent."

Quand on sait ce qui se passe dans le livre et ce que vivent deux personnages, essentiellement Gamache et Olivier, elle prend tout son sens, en plus d'être une belle pensée pour tous ceux qui un jour, ont eu besoin d'un nouveau départ.

Les retrouvailles entre Gabri et Olivier m'ont émue aux larmes, l'histoire du sergent Morin aussi, que l'on avait découvert dans Révélation brutale, de même que l'histoire entourant le mariage de Gamache et sa rencontre avec Reine-Marie (je sais, j'ai un petit cœur sensible! Mais ce que je peux aimer d'amour ces personnages...) Une amie à moi m'a déjà dit que lorsqu'elle lisait Louise Penny, elle avait l'impression de prendre des nouvelles d'amis, en retrouvant les personnages qu'elle aimait. Sensation que je partage également. C'est donc un plaisir renouvelé, encore une fois, que de retrouver Gamache, Beauvoir, Olivier, Gabri, Clara, Ruth, Myrna. En tournant la dernière page, j'avais déjà envie de relire ce roman.

Je vous le conseille. Pour tout ce qu'il contient. Pour les personnages attachants. Pour Three Pines que l'on retrouve avec joie. Pour l'hiver et ses tempêtes, Québec et son histoire. Pour la façon qu'a Louise Penny de décortiquer l'âme humaine, d'en faire sortir les démons et les petits bonheurs. Parce qu'elle parle aussi de la réalité québécoise, entre anglophones et francophones et qu'elle le fait bien.

Une nouvelle enquête d'Armand Gamache qui parle cette fois des secondes chances et de la vie. De ceux qui restent et doivent continuer. Parce que c'est important.

À lire.

Quelques extraits:

"En observant Armand Gamache, il remarqua de nouveau la cicatrice qui lui zébrait la tempe gauche. Et la barbe qu'il s'était laissé pousser. Pour que les gens cessent de le dévisager et ne puissent reconnaître le policier le plus reconnaissable du Québec." p.13

"Cher Armand,
Je vous envoie ce mot qui contient mes pensées et mes vœux de prompt rétablissement. Nous parlons souvent de vous et espérons que vous viendrez nous rendre visite. Ruth dit de venir avec Reine-Marie étant donné quelle ne vous aime pas beaucoup. Elle m'a quand même demandé de vous dire bonjour et fuck off. [...]
J'aimerais cependant vous poser une question. Pourquoi Olivier aurait-il déplacé le corps? Ça n'a pas de sens. Il ne l'a pas fait vous savez.
Sincères amitiés,
Gabri." p.27

"Si dans sa paroisse on parlait davantage de joie et moins de péché et de culpabilité, se disait Gamache, il songerait peut-être à retourner à l'église." p.122

"Gamache se dirigea vers le Château en passant à côté de l'énorme sculpture de style gothique au centre du petit parc, le monument de la Foi. Le Québec avait été bâti grâce à la foi et aux fourrures, mais les conseillers municipaux avaient préféré ériger une statue aux martyrs plutôt qu'à un castor." p.132 

"Et pourtant, au cours de notre conversation d'aujourd'hui, jamais vous ne l'avez appelé Jakob. Pourquoi?
Il y eut un long silence.
-Vous ne me croirez pas.
-L'inspecteur-chef Gamache m'a ordonné de vous croire
-C'est censé me réconforter?
-Écoutez, Olivier, c'est votre seule chance. Votre dernière chance. Dites-moi la vérité." p.154

"Des lumières brillaient dans les maisons autour du parc et celles du bistro étaient vives et gaies. Heureux de savoir que c'était l'heure du souper et non du petit-déjeuner, Jean-Guy enfila son manteau et ses bottes et traversa le parc. La neige craquait sous ses pas. Au bistro, il fut accueilli par Gabri qui, étrangement, était en pyjama. [...] Regardant autour de lui, il remarqua qu'une personne sur trois ou quatre était vêtue d'une robe de chambre. Three Pines, avait-il toujours soupçonné, n'était pas vraiment un village, mais la clinique de soins ambulatoires d'un asile d'aliénés. Il en avait maintenant la preuve." p.188